Au-delà de la fermeture du Musée pour cause de confinement, le musée a subi une invasion destructrice de mérules qui ne lui permettra pas d’y ouvrir l’exposition temporaire, prévue cette saison, sur le thème des phares.
La municipalité d'Audierne a ouvert à l'Association des Amis du Musée, la salle de l'Inscription maritime pour y présenter, jusqu'à mi-septembre, plusieurs de ses pièces remarquables lors d'une exposition sur "les phares et naufrages" dans le Cap Sizun.
Souhaitant partager quelques réflexions qui ont accompagné la préparation de cette exposition, Jacques Paul, Président du musée maritime du Cap Sizun, retrace brièvement, ci-dessous, les étapes de la signalisation maritime du Raz de Sein.
Déconfinement, expression libre de Jacques Paul, Président de l'Association des Amis du Musée maritime du Cap Sizun.
Aperçu historique de la mise en place de la signalisation de l'île et du Raz de Sein.
Le système d’éclairage des côtes de France s’est puissamment développé au début du XIXe siècle. Avec l’achèvement des conflits de l’Ancien Régime et de la Révolution, les pays du vieux continent tournent leurs efforts vers le progrès technique et les échanges économiques. Il faut dès lors aider la navigation commerciale et en améliorer la sécurité. En 1811, est créée la Commission des phares, où siègent des savants, des officiers de marine, des ingénieurs. Deux siècles durant, cette structure, exemple rare de coopération inter-administrative, statue sur tous les projets touchant à l’organisation de notre réseau de signalisation maritime. Le texte fondateur est un vaste programme d’amélioration du système d’éclairage des côtes, établi en 1825 par le contre-amiral Elizabeth-Paul-Edouard de Rossel, astronome et hydrographe (ancien compagnon du grand hydrographe Beautemps-Beaupré de d’Entrecasteaux) et le jeune physicien Augustin Fresnel, qui vient, en 1822, de promouvoir les lentilles à échelons qui amélioreront la portée de tous les phares du monde.
Il y a alors seulement une quinzaine de phares sur les côtes de France. L’objectif est d’en avoir cinquante, répartis à l’époque en "trois ordres d’importance et de portée", auxquels s’ajoutent trente-cinq feux de ports et fanaux. Ils servent à l’atterrissage des navires, et sont répartis sur la côte en sorte que les navigateurs faisant route le long du littoral en aient toujours au moins un en vue.
Les approches de l’île et du Raz de Sein sont un cas particulier.
La redoutable Chaussée de Sein, cartographiée par Beautemps-Beaupré en 1817, s’avance loin en mer, jusqu’à 9 milles de l’île. Le programme y prévoit deux phares : l’un, « du premier ordre », au Bec du Raz, comme l’on nommait alors la Pointe du Raz (sa tour porte l’actuel sémaphore), intégré dans la chaîne de jalonnement du littoral entre les phares de Penmarc’h et d’Ouessant ; l’autre, « du deuxième ordre », sur la pointe Ouest de l’île de Sein pour compléter le premier. L’alignement des deux feux doit matérialiser l’axe de la Chaussée.
Si, depuis un navire l'on voit le Bec à gauche du phare de Sein, on est en Iroise (ar mor gleiz).
Si on le voit à droite, on est en baie d’Audierne (ar mor dehou).
Si on va sur l’alignement, on se perd sur la Chaussée.
Les deux phares, du Bec du Raz et de l'île de Sein, sont allumés en 1839.
Néanmoins, ce dispositif ne permet pas aux navires faisant une route perpendiculaire à la Chaussée, (par exemple venant du sud pour aller à Brest), d’apprécier à quelle distance ils se trouvent des dangers de son extrémité Ouest (la Basse Froide).
En outre, l’éloignement de ces feux fait qu’ils sont souvent peu visibles simultanément. C’est ainsi que le 23 septembre 1859, la frégate à aubes « Sané », navigant de Toulon vers Brest par temps bouché, passe trop près de l’île, talonne et coule à 1km au nord de la roche d’Ar Men. A cette occasion, la Marine redemande très fermement que l’on remédie à la situation.
Le 14 avril 1860, la Commission des phares décide d’étudier la construction d’un phare « du premier ordre » sur une roche à trouver à l’Ouest de la Chaussée, le phare de Sein étant remplacé par un simple fanal. Une reconnaissance des roches Madiou, Schomeur et Ar Men est alors réalisée pour y implanter un phare. Seule la troisième, Ar Men, découvre, mais sa surface est limitée. On se rabat sur Neurlac’h, à 5 milles plus à l’Est. La roche est plus vaste mais trop à l’Est ; estimant que le gain pour la signalisation serait faible, la Commission du 12 novembre 1860 rejette la proposition. Elle note d’autre part que le passage du Raz est couramment utilisé par la navigation générale et qu’il serait bon d’en sécuriser l’usage par deux feux implantés l’un sur le rocher de la Vieille et l’autre sur l’îlot de Tévennec. En 1861, on explore la roche Place-Adam au sud de la Basse Froide. Elle ne convient pas non plus. Une Commission nautique locale se rend trois fois sur les lieux, sans trouver de solution, et propose une nouvelle reconnaissance hydrographique approfondie. La Commission des phares du 30 novembre 1861 suit la proposition. Par ailleurs elle statue sur les caractères à donner aux feux de La Vieille et de Tévennec. Les choses restent en l’état jusqu’en 1865. La Compagnie Générale Transatlantique vient alors de lancer sa ligne sur New York, au départ du Havre, avec escale à Brest. Elle demande plusieurs améliorations à la signalisation des abords de ce port, dont un grand phare à l’Ouest de la Chaussée. Cette fois, ce n’est plus seulement la navigation perpendiculaire à l’axe de la Chaussée que l’on cherche à sécuriser, c’est aussi l’atterrissage sur Brest, par une redondance de la signalisation.
Gravure du paquebot "Washington" de la Compagnie Générale Transatlantique qui inaugura la ligne Le Havre - New York le 15 juin 1864.
La Commission du 6 mai 1865 prescrit une nouvelle reconnaissance hydrographique de la zone d’Ar Men, l’idée étant d’y construire un phare sur pieux métalliques ou de mouiller à proximité un feu flottant.
De nouvelles missions sont conduites en 1865 ; le jeune ingénieur Paul Joly conclut à nouveau à l’impossibilité de construire un phare à l’Ouest, et fait à nouveau la proposition de Neurlac’h, encore une fois rejetée. Deux nouvelles reconnaissances sont réalisées en 1866, l’une est conduite par l’hydrographe Alexandre-Edmond Ploix, accompagné de Léonce Reynaud, directeur du service des phares et secrétaire de la Commission, l’autre par Joly. Les conclusions sont moins négatives, notamment sur les possibilités d’approche de la roche d'Ar Men et, en novembre 1866, la Commission déconseille fortement le feu flottant et le phare métallique. L’idée est de construire un massif capable de supporter une tour en maçonnerie ou en tôle, quitte à abandonner si les difficultés sont excessives.
Les travaux vont commencer l’année suivante. Les difficultés sont à la hauteur des craintes des ingénieurs.
Il faudra 14 ans pour en venir à bout et allumer Ar Men en 1881.
La largeur relativement faible du soubassement, compte tenu de la hauteur du phare, donnera des sueurs froides au directeur suivant, Léon Bourdelles.
Il devra organiser des travaux de confortement qui ne s’achèveront qu'en 1902.
Ar Men a été récemment classé au titre des Monuments historiques le 20 avril 2017.
Entre-temps on allume Tévennec (1875) et La Vieille (1887), qui sécurisent la navigation nocturne dans le Raz proprement dit, et évitent le détour par l’Ouest d’Ar Men.
Le dispositif est complété par le feu de la Plate (1911), qui éloigne les navires des roches au pied de la Vieille, par celui du Chat (1937), qui déborde les écueils du sud-est de l’île, et, dans les années 1920, par la bouée Occidentale de Sein, placée au-delà des dernières roches de la Basse froide.
Le dispositif décrit ci-dessus répond aux besoins de deux types de navigation : - la route de l'Atlantique qui relie le Cabo Finisterre (en Galice) à Brest et la Manche. Les feux du Raz (la Vieille, Tévennec et plus tard le Chat) permettent d'en raccourcir le trajet. - celle qui relie Brest à la côte américaine.
Ar Men y contribue en s’inscrivant dans le cadre plus général de la signalisation des abords de Brest.
Parallèlement les pêcheurs de Sein, venant de l’Ouest de la Basse Froide, pouvaient longer la Chaussée pour regagner l’île. La paire Bec du Raz/Phare de Sein était plus efficace que celle de La Vieille/Phare de Sein, la Vieille étant plus basse et portant moins. Ils protesteront d’ailleurs à l’extinction du feu du Bec en 1887, mais n’obtiendront que des améliorations mineures …
Jacques Paul
Président des Amis du Musée maritime du Cap Sizun.
Exposition à l'Ex-Inscription maritime 29770 Audierne (à côté de la Poste).
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