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Photo du rédacteurMichel Van Praët

Méduses, entre biologie, art et ... brûlures.

Dernière mise à jour : 31 juil.

La fluidité des formes des méduses, leur transparence et leurs couleurs ont conduit les scientifiques à développer des approches artistiques pour les décrire … et des artistes à engager une carrière scientifique.

 

Ainsi, Charles Alexandre Lesueur (1778-1846), l’un des deux dessinateurs de la mission d’exploration dite des Terres australes (1800-1804), participe à l’exploration des côtes de ce qui constitue à présent l’Australie, puis engage une carrière scientifique après avoir observé lors de la mission, le plancton et les méduses qu’il contient. Après des recherches sur la faune des grands fleuves d'Amérique du nord, il revient en France et fonde le muséum d’Histoire naturelle du Havre.

Planche de l’atlas historique du voyage de découvertes aux terres australes, publié en 1807.

À gauche, la physalie numérotée « 1 » est figurée avec d’autres espèces de cnidaires, désignées à l’époque sous le terme de zoophytes, et avec un mollusque planctonique figuré en haut de la planche et numéroté « 2 ». Les originaux des oeuvres de Lesueur sont conservés au Havre.


Quelques décennies plus tard le biologiste Ernst Haeckel (1834-1919) crée le terme "écologie" en 1866 et diffuse les idées de Darwin en Allemagne. En 1904 il mobilise toutes ses qualités artistiques pour son superbe ouvrage Kunstformen der Natur où les méduses sont remarquablement représentées.

Planche 8 de l’ouvrage d’Haeckel Kunstformen der Natur.

 

Méduses, anémones de mer, coraux et hydres ces animaux font tous partie d’un même groupe d’animaux : les cnidaires qui possédent tous des cellules venimeuses.

 

Durant l’été 1901, le Prince Albert Ier de Monaco dirige l'expédition océanographique qu'il effectue annuellement dans l’Atlantique. Ayant précédemment observé que des matelots présentent une vive douleur, pouvant aller jusqu’à la syncope, au contact d’une sorte de méduse, il a invité à bord les scientifiques Charles Richet, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, et Paul Portier, assistant de physiologie à la Sorbonne, pour étudier ce phénomène. Alors que l’hypothèse émise est, dans lignée des découvertes de Pasteur, d’obtenir un vaccin, les deux scientifiques découvrent un phénomène physiologique inverse.

Au lieu d’être immunisés, les chiens et pigeons qui subissent des injections de petites quantités d’extraits de Physalie voire simplement de la petite anémone de mer, généralement de couleur rouge, vivant sur nos côtes rocheuses, Actinia equina, manifestent une sensibilité de plus en plus grande, pouvant aller jusqu’à leur mort. Richet et Portier publient en 1902 cette découverte. Elle pose les bases de l’allergologie et ils donnent au phénomène le nom d’anaphylaxie … mais seul Charles Richet obtient le prix Nobel de Physiologie et Médecine 1913.



Timbre monégasque de 1953 commémorant la découverte de l’anaphylaxie.

Au centre figure le navire "Princesse-Alice 2" et à l'arrière plan l'Institut océanographique de Monaco.






Les anémones de mer, évoquées précédemment ont, au-delà des cellules venimeuses qu'elles possèdent ainsi que tous les autres cnidaires, de nombreux caractères communs avec les méduses.

La planche ci- dessous est créée par le biologiste anglais T.A. Stephenson lors de son étude des anémones de mer, pour montrer la diversité des ornementations du disque oral et des tentacules situés à la périphérie du disque oral. La planche dessinée par Stephenson témoigne ainsi de l'une des proximités anatomiques des anémones de mers avec les méduses. Il s'agit d'anémones de mer sur l'illustration ci-dessous mais l'aspect serait très proche si l’on observait des zones orales, entourées de tentacules, chez des méduses.

Planche réalisée par T.A. Stephenson pour le tome 2 de « British Sea Anemones » (1935). Elle illustre la diversité des ornementations du disque oral et des tentacules de 11 espèces d’anémones du littoral anglais, également présentes sur nos côtes.

Les deux tomes de l’ouvrage de Stephenson, publiés en 1928 et 1935 sont richement illustrés des nombreuses espèces d'anémones ... ainsi que d’hommages à son épouse Anne jouant avec des anémones, le biologiste passant de la science à l'art avec un plaisir manifeste.


La cause de la sensation de brûlure provoquée par les méduses et plus généralement par le contact avec les cnidaires.


Selon leur taille, les cnidaires comportent de quelques cellules urticantes chez une petite hydre, à plusieurs milliers chez une méduse. Chaque cellule urticante est en mesure d'injecter un venin aux proies passant à son contact. Le venin est contenu dans de microscopiques seringues présentes, pour chacune d’elle, dans une cellule spécialisée : le cnidocyte. Les cocktails venimeux des cnidocytes peuvent légèrement varier d’une espèce à l’autre mais les molécules sont proches et ils perturbent tous la transmission nerveuse pour paralyser la proie. Les cellules venimeuses sont particulièrement abondantes à la surface des tentacules. C'est pourquoi ils constituent la zone la plus irritante si l’on est en contact avec l’un de ces animaux.

Les tentacules entrainent ensuite la proie, plus ou moins paralysée par le venin, vers la cavité digestive de la méduse, de l'anémone de mer, de l'hydre...,. Cette cavité est pourvue d’un seul orifice qui joue le rôle de bouche puis d’anus, selon la phase de digestion. Les aiguilles des seringues des cnidocytes sont très généralement pourvues d’épines qui contribuent à immobiliser la proie durant l’injection, voire après.

La structure et la longueur des aiguilles varient selon les espèces, cela contribue à ce que nous soyons plus ou moins sensibles à certaines espèces. Dans tous les cas, les zones où la peau est la plus fine sont les plus sensibles, les aiguilles y pénétrant plus facilement. Parallèlement les molécules qui constituent le venin ont des similitudes mais peuvent, indépendamment des réactions d’anaphylaxie, comporter des molécules légèrement différentes qui provoquent des effets plus ou moins puissants sur les humains.

Observation sous le microscope de capsules et aiguilles de cnidocytes de la méduse Pelagia noctiluca.

 

Des animaux présents dans les océans depuis des centaines de millions d’années.


Des fossiles permettent de considérer que ce groupe existait déjà il y a 650 millions d’années dans les océans. De ce fait il est parfois dit que ce sont des formes animales primitives, mais l’on peut à l’inverse considérer que les cnidaires se sont considérablement diversifiés en continuant d'évoluer depuis lors. Ainsi, les squelettes des coraux fossiles sont différents des squelettes des espèces actuelles. La diversité de leurs modes de reproduction, sexués et parfois asexués, témoigne également de l’évolution de ce groupe qui comporte des milliers d’espèces actuelles. De même, la diversité des formes des capsules contenant le venin et celle des micro seringues sont telles que leur observation constitue un critère de classement qui est par exemple particulièrement précis pour distinguer différentes espèces anémones de mer.

Le groupe des cnidaires est par contre resté essentiellement marin, peu d’espèces vivent en eau douce, si l’on excepte quelques espèces d’hydres et une petite méduse translucide ne dépassant guère 2cm de diamètre que l’on peut parfois observer l’été dans des fontaines et étangs.

Cette méduse d'eau douce découverte en 1880 dans une fontaine londonienne puis observée peu après dans un étang à Lyon n’a pas été revue pendant plusieurs décennies. Plusieurs observations de cette méduse en France, à la charnière des années 1920-1930, amenèrent à inclure, juste avant publication, la longue description ci-dessous dans le tome 1A de l’ouvrage de référence édité en 1936 sur « la faune de France » .


Une diversité de formes sédentaires et planctoniques.


La forme de chaque individu peut être assimilée à un petit sac, dont l’orifice est entouré d’une couronne de tentacules, ce schéma connait une diversité de déclinaisons. Les anémones de mer et les hydres sont grossièrement assimilables à des sacs individuels fixés au sédiment ou aux algues. Les coraux solitaires en diffèrent du fait de la sécrétion d’un squelette externe calcaire, mais certains coraux forment des colonies pouvant, en particulier dans les mers tropicales, constituer des récifs composés de différentes espèces. A l’inverse, d’autres cnidaires sont mobiles comme les méduses qui constituent une composante importante du macro-plancton. Dans celui-ci, certaines espèces forment des colonies dont certains individus ont des fonctions spécialisées. C’est le cas chez les vélelles et les physalies de nos côtes. On évite de parler de méduse à leur sujet car chaque organisme de ces espèces est en fait une colonie d’individus constituant les uns le flotteur, d’autres peuvent former des sortes de tentacules dépassant 10 mètres chez les physalies ; d’autres individus spécialisés assurent les fonctions de digestion ou de reproduction de la colonie. Ce groupe de cnidaire est désigné sous le terme "siphonophore".

Méduses et siphonophores poussés de manière similaire par les courants et les vents peuvent s’échouer en masse sur le littoral.

Échouage de milliers de petites vélelles sur la plage de Trescadec à Audierne en mai 2023 après une période de vent d'ouest à sud-ouest. Les vélelles sont très peu urticantes, mais elles se décomposent rapidement ; il est donc préférable de ne pas les manipuler, en attendant que la marée suivante les remporte.

 

Des animaux qui chassent au goût et au toucher.


Les cnidaires sont des animaux pourvus d’un système nerveux. Ainsi, vous pouvez à marée basse constater qu’il est possible d’interagir par exemple avec les petites anémones vivant dans les flaques accessibles à pied. Si vous broyez un petit morceau de moule ou de patelle à proximité d’une anémone, celle-ci va s’épanouir et mouvoir ses tentacules pour tenter de capturer la proie qu’elle croira avoir détecté au goût … Vous pourriez aussi les faire s’épanouir avec quelques gouttes de nuoc-mâm ou de divers bouillons concentrés car les proies sont détectées à distance grâce à un sens du goût qui mobilise les mêmes molécules (les glutamates), que chez les humains ; une partie du sens du goût, en particulier vis-à-vis des appétents, apparait avoir été conservé au cours de l’évolution depuis les cnidaires jusqu'aux humains.

Si les tentacules s’agitent dès la détection à distance d’une proie, les cellules urticantes n’injectent pour leur part leur venin qu’au contact des tentacules avec la proie, d’où l’importance de ne pas frotter notre peau si un tentacule de méduse y est fixé afin de ne pas stimuler les cellules qui n’auraient pas encore injecté leur venin.


Les méduses et les siphonophores de nos côtes.


 5 espèces de méduses et 2 de siphonophores sont régulièrement visibles sur les côtes de l'Atlantique et la Manche.

Translucide légèrement rosée ou bleutée la plus commune est l’Aurélia (Aurelia aurita). Son ombrelle est bordée d’une multitude de courts tentacules et sa transparence permet de voir ses quatre gonades, ayant chacune la forme d’un croissant. C’est l’une des méduses les moins irritantes de nos côtes.

À l’inverse, le contact avec les tentacules des cyanées bleues et des pélagies est douloureux.

Parmi les siphonophores, si le contact avec les vélelles a peu de conséquences, celui avec les physalies (en particulier leurs tentacules appelés filaments pêcheurs) est douloureux et peut laisser à long terme de fines cicatrices.

 

Sur nos côtes, les méduses ne représentent pas la majorité des espèces de cnidaires y vivant.


Les méduses sont immédiatement associées au risque d’une sensation de brûlure. Sur nos côtes le nombre de leurs espèces (5 de plus de quelques centimètres de diamètre comme mentionné ci-dessus) est pourtant inférieur à celui des discrets petits coraux des eaux froides, des microscopiques hydraires dont certaines espèces forment des tapis de quelques millimètres d’épaisseur sur les laminaires ainsi que des anémones de mer dont les espèces ne se réduisent pas à celles visibles dans les flaques à marée basse.

Anémones, coraux, hydraires … possèdent tous des cellules à venin, certains sont très urticants mais on les côtoie moins spontanément que les méduses lors des baignades.

Chrysaora hysoscella (Port d'Audierne, juin 2023)


Toutes les formes gélatineuses du plancton ne sont pas des cnidaires.


Des espèces d'un groupe zoologique voisin des cnidaires : comme les « groseilles de mer », « ceintures de vénus » … ne présentent aucun risque  mais, poussées par les courants et les vents, ces espèces planctoniques appelées : "cténaires" peuvent se trouver mêlées à des cnidaires.

C'est le cas sur la photo ci-dessous où 2 béroés, cténaires inoffensifs et translucides d'une dizaine de centimètres de long, sont entourés de petites vélelles bleutées (siphonophores) nageant au-dessus d'une cyanée bleue (méduse).

Béroés, vélelles et cyanée ; prélèvement dans le port d’Audierne en mai 2023 après une période de vents de sud-ouest.

 

 Quel comportement adopter vis-à-vis des méduses : ne pas aggraver la situation.


 Quelle que soit la douleur ressentie au contact de certaines espèces de cnidaires, aucune méduse de nos côtes n’est mortelle (ce qui n’est pas le cas dans l’Océan Pacifique, en particulier en Australie). L’on a donc tout le temps de sortir de l’eau sans aggraver la situation par des mouvements de panique.

 Les cellules venimeuses particulièrement abondantes sur les tentacules, ou les filaments pêcheurs dans le cas des physalies, peuvent être au nombre de plusieurs milliers selon la taille des tentacules, mais ils ne se déclenchent pas tous au même instant. Si un fragment de tentacule est visible et accroché à votre peau il ne faut surtout pas adopter un comportement provoquant le déclenchement des centaines ou milliers de cellules encore remplies de venin.

Quoi qu’il soit écrit, il convient de ne surtout pas frotter la zone avec la main ou du sable et ne pas la laver à l’eau douce, cela ne ferait que déclencher les cellules venimeuses encore emplies de venin. Les cellules peuvent se déclencher indépendamment les unes des autres même si le tentacule est arraché de l’animal ou si celui-ci est inerte sur la plage.

Vous pouvez avec précaution essayer d’ôter le fragment de tentacule s’il est visible (ce peut être le cas avec les physalies) avec une pince à épiler. Le fréquent conseil de le décoller avec une carte de crédit n’est à suivre que si vous arrivez calmement à glisser la carte entre la peau et le tentacule mais … surtout ne grattez pas la zone que ce soit avec une pince à épiler, une carte ou tout autre objet.

On peut lire qu’il convient de chauffer la zone, là encore ce n’est surtout pas en la frottant. Cette préconisation vient de ce que le venin est détruit par la chaleur … mais cette dénaturation du venin ne débutant qu’à environ 45°C il ne s’agit pas de brûler la zone.

 

Une étude internationale de 2018 préconise de doter les centres de secours, sur les plages, de patchs dont la température serait contrôlée. La même étude reprend une préconisation ancienne de laver la zone avec de l’acide acétique à 5% (ce qui correspond au dosage de la plupart des vinaigres). Il existe également des lotions et pommades pharmaceutiques, utilisées dans le Pacifique où plusieurs espèces d'anémones de mer, coraux et méduses sont très urticantes voire mortelles pour quelques méduses.

 

Si vous ressentez un malaise général, en particulier si vous avez été récemment déjà irrité par des méduses (coraux ou anémones mer) joignez un médecin. Des contacts fréquents avec une méduse, ou tout autre cnidaire, ne désensibilisent pas, au contraire ils peuvent sensibiliser comme cela a été mentionné à propos de la découverte de l’anaphylaxie.

 

Vous pouvez aussi ressentir un sentiment de brûlure sans voir de méduses autour de vous.

Si la sensation est localisée et, en particulier lorsqu’elle forme une ligne sur la peau, ce peut être dû au contact avec un tentacule pêcheur de physalie, qui peut s'étendre sur plusieurs mètres sous le vent du flotteur.

Échoués sur la plage, les cnidaires et leurs tentacules demeurent urticants et parfois difficiles à distinguer dans le sable comme l'illustre la photo ci-dessous .

Physalie échouée à Audierne sur la plage de Trescadec en août 2023 après une période de vents de sud-ouest. Un long filament pêcheur, contenant une multitude de cellules urticantes et ayant l'apparence d'un fil de nylon, est présent sur plusieurs mètres à la périphérie du flotteur.

 Si, sans voir de méduses vous ressentez une légère démangeaison sur tout le corps ce peut être de microscopiques méduses, des larves d’autres cnidaires mais aussi diverses autres espèces microscopiques du plancton.

Si c’est une vive douleur ressentie sous le pied, en marchant dans une faible profondeur d'eau, il est probable que vous ayez piétiné une vive, car les cnidaires ne sont pas les seuls animaux venimeux de nos côtes.





 

 

 



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