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Les algues d'Audierne :

Dernière mise à jour : 26 sept. 2023

comment l’étude de la laisse de mer de la plage de Trescadec contribue à décrire les algues de la baie d’Audierne.


Le programme national de sciences participatives « Plages vivantes », coordonné par la station marine de Concarneau du Muséum national d’Histoire naturelle, développe sur l’ensemble du littoral ouest une étude des échouages d’algues et plantes marines composant la laisse de mer intitulée ALAMER (« Algues de la LAisse de MER »).


L’étude vise à mieux connaître les espèces de nos côtes et à suivre d’éventuelles modifications dans la composition des laisses de mer, sous l’effet des changements globaux (climatiques) et plus régionaux ou locaux (aménagements de littoraux, pollutions …) à large échelle spatiale et temporelle. La laisse de mer constitue en effet un indicateur fiable de la diversité du milieu marin qui fait immédiatement face à la côte[1] au bas et immédiatement sous la zone de la basse mer (l’infralittoral). Cette diversité est par ailleurs plus facile à documenter qu’en plongée, en particulier vis à vis des espèces de petite taille.


En intégrant celles et ceux qui le souhaitent aux observations de la biodiversité de l’estran, cette recherche participative vise parallèlement à sensibiliser chacun aux méthodes scientifiques et à une meilleure compréhension des processus écologiques auxquels s’intègre la laisse de mer.


Localement l’étude peut fournir aux différentes parties prenantes (élus, services techniques, habitants à l’année, estivants…) des éléments pour une gestion différenciée du littoral, selon les mêmes principes que celle appliquée aux espaces verts. En dépassant les ressentis, les observations et leur partage peuvent contribuer aux choix en matière de limitation de l’accès aux dunes, de ramassage strictement manuel des déchets d’origine humaine sur les plages, de limitation du ramassage mécanisé des algues et de sa suppression dans la mesure du possible.


Depuis le début de l’année 2022, Audierne est, avec la plage de Trescadec, l’un des sites d’observation du protocole national ALAMER[2].


Le choix de la plage de Trescadec et du lieu-dit Le Pouldu.


La plage de Trescadec a été choisie pour sa situation en zone urbaine, d’accès facile à tous.

Le lieu-dit le Pouldu, situé à l’extrémité ouest de celle-ci, y a été sélectionné pour être une zone connue pour ses échouages plus abondants que sur l’ensemble de la plage et en particulier par rapport à sa portion est.



Cartes postales de la plage de Trescadec présentant 2 vues prises au début des années 1900 depuis le Pouldu (collection particulière).

La zone du Pouldu est alors une zone de séchage et brûlage des algues dont on voit les tas disposés immédiatement au-dessus de la plage.

Seules deux villas, bien visibles sur la carte postale des éditions Le Delay (ELD), sont bâties sur la dune face au centre de la plage à l’ouest du phare de Trescadec.


Plage de Trescadec au début des années 1950, vue depuis le Pouldu (Editions « Jean », collection particulière).


Par rapport au début du siècle, les habitations sont devenues plus nombreuses sur la dune face à la plage. La laisse de mer, peu importante vers le môle, est par contre très présente au lieu-dit Le Pouldu. Ce dépôt d’algues sur l’extrémité ouest de la plage se retrouve lors des échouages liés aux tempêtes, en fonction de la direction des vents et des cycles biologiques saisonniers de certaines espèces, comme les grandes Laminaria hyperborea dont les lames de l’année précédente se détachent en mai-juin.

L’été 2022, caractérisé par une longue période sans tempête et des vents de nord en juillet-août, a été marqué par de très faibles dépôts sur l’ensemble de la plage de Trescadec.

À l’inverse, les mêmes mois de l’été 2023 soumis à un flux d’ouest, ont été marqués par deux périodes de dépôt, mi-juillet et mi-août. Ils ont été traités par des moyens mécaniques par la commune (remise à la mer mi-juillet, amas en haut de l’estran mi-août).


La quantification des dépôts de la laisse de mer figure en annexe (Tableau 3).


On peut rappeler ici que la laisse de mer constitue, au-delà d'un élément de stabilisation des dunes, un écosystème complexe. Les algues échouées sont colonisées par de nombreux organismes, notamment des Diptères (dont des mouches spécifiques du milieu littoral). Leurs larves très abondantes recyclent la matière organique et sont en même temps consommées par les oiseaux. Ce rôle de nettoyage naturel et d'assainissement de la plage est totalement perturbé par les interventions mécaniques. L'enfouissement dans le sable détruit les larves et laisse place à une importante putréfaction du matériel végétal. Le rejet à la mer fragmente les algues. S’il provoque ponctuellement une accélération de la prédation des larves par les oiseaux, il interrompt par contre brutalement les processus naturels d'assainissement. La turbidité de l'eau est alors considérable et des algues fragmentées sont rejetées sur la plage aux marées suivantes.

Vue de la laisse de mer à l’extrémité du Pouldu de la plage de Trescadec le 14 juin 2022. La plage non traitée a été nettoyée par les marées suivantes et les vents, leur direction et l'absence de tempêtes ont ensuite contribué à une très faible laisse de mer durant l'été 2022.

(Photo M. Van Praët)


Les 4 piquets délimitent une zone de comptage d’1m2. Lors de chaque relevé, 5 carrés d’1m2, répartis sur 25m au niveau du dernier dépôt de laisse de mer, sont examinés. Les espèces et le nombre d’algues et plantes marines sont déterminés puis les résultats sont transmis au laboratoire maritime du Muséum à Concarneau.

Sur la photo ci-dessus, les Laminaria hyberborea, plus ou moins, fragmentées sont dominantes dans la laisse de mer, alors qu’elles sont, à cette période, en fin du cycle biologique de renouvèlement de leurs lames.


De quelle zone sous-marine est représentative la laisse de mer du Pouldu.


Comme mentionné précédemment, la laisse de mer est constituée des algues et plantes marines situées au bas de la zone des marées et sous celle-ci (zone infralittorale). L’étude précédemment citée (cf. note 1 de bas de page) précise qu’il s’agit principalement, pour les algues démunies de flotteurs, de spécimens vivant dans les 500 mètres et à guère plus des 1000 mètres situés face au lieu d’échouage.

Contrairement à certaines idées reçues, le déplacement des algues dépourvues de flotteurs est limité et, comme nous allons le préciser, parmi les algues brunes sans flotteurs, les laminaires et les himanthales (haricots de mer), sont très représentées dans la laisse de mer de Trescadec (Tableaux 1 & 2).


Les relevés et les simples photos aériennes témoignent des zones propices aux laminaires et des zones sableuses qui leur sont moins propices.

Ces zones moins propices, plus claires, sont bien visibles (photo aérienne du site de la ville d’Audierne) face à la moitié est de la plage de Trescadec et sur la zone de manœuvre des navettes de l’île de Sein, ainsi que pour partie sur la zone de courant du lit sous-marin du Goyen.

À l’inverse, de part et d’autre, les larges zones sombres sont bien visibles face au littoral de Plouhinec et Lervilly. Devant Trescadec , les zones sombres sont plus fragmentées et se situent à proximité de la Petite Gamelle et à l’extrémité de la jetée de Pors Péré sur une étendue nord-sud située 400 à 1000m face au Pouldu.

On peut considérer que la laisse de mer décrite ici est donc probablement représentative des algues se développant au nord des hauts-fonds de la Gamelle et tout particulièrement de celles présentes du môle du Raoulic à la jetée de Pors Péré.


Les algues observées à Audierne.


Le protocole ALAMER a défini les espèces de plantes marines et d’algues (ou groupes d’espèces d’algues) à rechercher et permettant de constituer des indicateurs significatifs pour les études scientifiques.


Il s’agit des zostères, ces plantes vertes terrestres retournées vivre en milieu marin forment ce qui est décrit sous le terme d’herbiers, et d’espèces des 3 grands groupes d’algues vertes, brunes et rouges.

4 groupes d’algues vertes sont retenus dans l’étude : les ulves (laitues de mer), les entéromorphes, les cladophores et les codiums.

Parmi les algues brunes 4 espèces de laminaires, 5 espèces de fucales comportant des flotteurs et 7 démunis de flotteurs sont considérées.

Parmi les algues rouges, 3 groupements sont systématiquement codifiés, mais selon la préservation des échantillons de ces algues, plus fragiles que les précédentes et souvent fragmentées, c’est une vingtaine d’espèces qui est susceptible d’être codifiée lors des relevés de terrain.

Tableau 1. Liste des espèces du protocole ALAMER avec leur codification et leur nom (1ère colonne), leur fréquence sur les sites observés en Atlantique et Manche (2e colonne) est à comparer aux observations dans la laisse de mer d’Audierne (3e et 4e colonnes).

Les noms scientifiques des espèces sont mis en italique, contrairement aux noms communs.


Ce que l’observation de la laisse de mer à Trescadec invite à considérer : un milieu maritime localement d’une riche diversité.


La comparaison des fréquences d’observation de certaines algues par rapport aux relevés effectués par d’autres membres du protocole ALAMER sur d’autres sites permet plusieurs remarques sur l’origine de la laisse de mer et l’état du milieu.


A l’exception de 3 espèces considérées comme rares au plan du programme national, toutes les autres espèces et groupes d’espèces sont présents à Trescadec, lors d’au moins une des huit observations. Cette quarantaine d’espèces observées, témoigne d’une biodiversité importante de la zone qui fait face à la plage.


Si les ulves et entéromorphes sont présentes, c’est au plus sous forme de quelques fragments par m2, ce qui ne révèle pas de pollution par des nitrates agricoles.

Les deux espèces introduites au XXe siècle par l’ostréiculture, Colpomenia peregrina depuis la côte américaine du Pacifique et Sargassum muticum depuis le Japon, sont présentes mais c’est le cas sur l’ensemble du littoral français.


Le seul point d’attention révélé par l’analyse de la laisse de mer est la faible représentation des zostères.

Elle est à corréler à la faiblesse des herbiers, y compris dans les zones sableuses relativement abritées situées entre la jetée et la plage.


Parmi les algues brunes, la grande catégorie des fucus (Fucus vesiculosus, Ascophyllum nodosum, Fucus serratus et Fucus spiralis) n’est jamais abondante, bien que chacune de ces espèces soit observée sur les substrats rocheux alentours et dans l’estuaire du Goyen.

C’est y compris le cas de ceux comportant des flotteurs (F. vesiculosus et A. nodosum). Contrairement à ces algues qui tapissent de manière privilégiée les substrats rocheux de la zone des marées, les algues brunes appréciant les zones du bas de la zone des marées et de l’infralittoral, comme Himanthalia elongata (longue fucale sans flotteur) et les laminaires, sont régulièrement présentes dans les relevés, y compris les espèces peu fréquentes (Saccharina latissima) ou rares (Laminaria digitata) en d’autres sites.


Le relevé des algues brunes et rouges fréquentes et périodiquement abondantes dans la laisse de mer confirme que la laisse de mer de la plage de Trescadec est largement constituée d’algues sans flotteurs, vivant dans la zone infralittorale qui fait immédiatement face à la plage, comme envisagé précédemment.



Quatre algues de la zone infralittorale.


C’est la zone qui va du bas des plus basses marées, jusqu’à quelques dizaines de mètres de profondeur. On peut observer ces 4 espèces dans la laisse de mer de Trescadec sans avoir à plonger parmi les laminaires qui vivent également dans cette zone où la lumière permet une photosynthèse efficace pour de nombreuses espèces d’algues brunes et d’algues rouges.


Chondrus crispus. Algue rouge, rouge à brun foncé, très polymorphe de 10 à 15cm. Elle est utilisée depuis des siècles dans l’alimentation et appelée pioka ou liken en Bretagne. Elle vit au niveau infralittoral mais peut être présente dans des cuvettes de la zone des marées, si elles sont peu éclairées.

Gigartina pistillata. Algue rouge au thalle branchu et épais, ici en phase de reproduction. Elle vit de manière privilégiée sur les galets des zones relativement calmes et éclairées.

Caliblepharis ciliata. Algue rouge de 10 à 30 cm, au thalle à lames épaisses bordées de cils. Elle privilégie les zones peu éclairées et relativement battues.

Desmarestia ligulata. Algue brune pouvant atteindre 2 m, l’axe et les rameaux sont très aplatis. (Photos M. Van Praët)



Annexes

Tableau 2. Codification des données nationales du protocole ALAMER, annotées par rapport à la situation sur Audierne.


Tableau 3.

Quantification de 9 échouages au Pouldu, positionnés sur le référentiel établi pour l’ensemble des relevés réalisés par les participants au protocole national ALAMER.

(Photos C. Cloarec et M. Van Praët)


En dépit du ressenti d’échouages importants à l’été 2023, les échouages quantifiés le 19 juillet 2023 (la laisse de mer a été mécaniquement repoussée à la mer les 18 et 19) et le 18 août 2023 (la laisse de mer avait été mécaniquement mise en tas quelques jours auparavant) sont relativement faibles tant par rapport à la codification nationale que par rapport à d’autres périodes de l’année sur le même site. Comme on le voit sur la photo du 18 août l'intervention mécanique quelques jours auparavant n'a laissé que peu d'algues sur la plage.

Le nettoyage mécanique du 18 juillet s’est, quant à lui, traduit dans le relevé du 19 par la quantification d’abondants fragments de laminaires dans la laisse de mer et l’observation d’une multitude de petits fragments en suspension dans l’eau, augmentant sa turbidité en bordure de plage et lui conférant une teinte brune.

Les périodes d’importants échouages font suite à des coups de vent de sud à sud-ouest, convergeant, mi-mai et mi-juin 2022 puis en avril 2023, avec le renouvellement naturel des lames des Laminaria hyberborea.

Les faibles échouages de l’été 2022 correspondent à l’inverse à une longue période calme et de vent de nord, qui faisaient suite à d'importantes laisses de mer en juin, rapidement dispersées naturellement, comme mentionné précédemment .

[1] M. Thibault et al. 2022. Reading the heterogeneity and spatial structuring of benthic habitats in macrohyte wracks. Ecological Indicators.n°142, 109279 [2] Les relevés sur Trescadec, ont été réalisés par un groupe permanent ayant une formation en biologie, constitué de Colette Cloarec, Anne Kergoat, Philippe Laporte, Michel Van Praët et Pierre Zagatti. Les publics ont été plus largement associés à 4 relevés, en liaison avec les animations programmées au titre du label « Pavillon Bleu ». Les écoles d’Esquibien et Pierre Le Lec, ainsi que le collège de Locquéran ont participé, avec leurs enseignants, à des déterminations et comptages dans le cadre de la création d’une aire marine éducative ; ces initiations ne figurent pas dans les comptages présentés ici.

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