En 1888, afin de contribuer au développement économique du Département, le Conseil général du Finistère décide la création de lignes de chemin de fer prolongeant les réseaux ferrés reliant Paris à Brest et à Douarnenez, via Quimper.
La ligne Douarnenez-Audierne ouvre aux voyageurs en janvier 1894, puis en février au trafic des marchandises. Le trafic des marchandises répond au développement des importantes activités de pêche et des conserveries, tandis que le trafic des voyageurs répond à une demande locale mais également à l'émergence du tourisme et des excursions jusqu'à la Pointe du Raz.
Le train, relativement lent, est appelé par les uns le Youtar (le mangeur de bouillie) et par beaucoup tren bihan, le petit train.
Sur cette photo prise vers 1900, le Youtar arrive de Pont-Croix tractée par une locomotive à vapeur "Corpet 030 T n°12" de 15 tonnes qui équipa la ligne à partir de 1896 et au centre du train est visible une voiture de voyageurs ouverte, dite "tapissière" (Carte postale de l'éditeur Neurdein, probablement à la fin du XIXe).
Par la suite la ligne fut brièvement exploité par un autorail GMC basé sur l'adaptation d'un modèle de camion GMC ! En 1931 des autorails Panhard plus confortables sont affectés à la ligne. Après l'interruption d'exploitation, du printemps 1939 à l'automne 1941, le trafic reprend tant pour les voyageurs que pour les livraisons de l'Occupant mais la vétusté des autorails et le manque de pétrole amène à les transformer en voitures tractées par les anciennes motrices au charbon.
Les voies ferrées et la gare sont construites sur un remblai en bordure du Goyen, l'actuelle rue Lamartine suit ce qui constituait l'estran de l'anse du Stum, jusqu'à ce que des remblais de la seconde moitié du XIXe siècle commence à réduire ce domaine maritime.
La gare de voyageurs se situait à l'emplacement de l'actuelle Poste, de là le Youtar permettait de rallier Douarnenez via Pont-Croix, Beuzec et Poullan, 3 fois par jour, en moins d'une heure.
On voit au premier plan le bâtiment voyageurs et les transports à chevaux qui desservaient le Cap et menaient les touristes jusqu'aux hôtels de la Pointe de Raz et de la Baie des Trépassés, au second plan la halle aux marchandises (Carte postale de l'éditeur Neurdein, photo prise vers 1900, au niveau de l'actuelle rue Lamartine).
Jusqu'à sa destruction, lors de la construction de l'actuel bureau de poste, la gare de voyageurs n'avait pas été transformée, contrairement à la gare de marchandises dont l'état de détérioration avait justifié sa destruction après son acquisition par la commune d'Audierne dans les années 1950, l'emplacement fut ensuite utilisé pour la construction du bâtiment des bains-douches publics.
Ci-dessous plans de 1893 d'aménagement de la gare et de sa façade donnant sur la route nationale n°165 d'Audierne à Nantes, l'actuelle rue Lamartine (©AD29 48 S 3)
Sur ce côté des voies de la gare, les voitures de voyageurs sont à quai avec, au premier plan visible une partie de fourgon, tandis qu'à l'arrière plan, sous l'auvent de la gare des marchandises, l'on aperçoit un wagon (Carte postale de l'éditeur Lévy au début du XXe, photo prise au niveau de l'actuelle Poste).
Les voies du réseau départemental, d'un mètre de large, sont plus étroites que les voies ferrées de la Compagnie du Chemin de fer d'Orléans qui relient alors, depuis Douarnenez, les autres destinations, ce qui oblige à des transbordements complexes des marchandises, qui pénaliseront la liaison Audierne-Douarnenez et plus globalement les diverses lignes du réseau départemental qui relient Rosporden au Nord Finistère par les Monts d'Arrée, ainsi que Brest aux abers .
Néanmoins, en 1912, pour répondre au développement agricole du Cap Sizun et du Pays Bigouden, une nouvelle voie relie Pont-l'Abbé, via Pont-Croix grâce au train populairement appelé le "train Carotte".
En 1927 un autorail contribue au développement du trafic des passagers et à l'expansion du tourisme, par contre le trafic des marchandises diminue après la crise économique de 1929.
La voie ferrée inspire les artistes des années 1920 comme l'aquarelliste Ch. Aguilé et bénéficie d'une promotion touristique.
Affiche de promotion, éditée en 1921 par la compagnie du "Chemin de Fer d'Orléans" qui exploitait la ligne Douarnenez-Paris via Quimper et Rennes.
Néanmoins en 1935, le contexte économique conduit la Préfecture et le Département à privilégier le transport routier, à planifier l'arrêt des lignes secondaires et à déposer immédiatement certaines voies ferrées de son réseau, dont celle reliant Pont-Croix et Pont l'Abbé.
La liaison Audierne-Douarnenez, alors empruntée par plus de 70.000 voyageurs par an, est provisoirement sauvée par le Département au motif qu'elle "dessert une région agricole, maritime et industrielle, l'été dernier il y circulait 12 trains quotidiens (...et que) cette ligne n'a jamais été déficitaire » (M.Perrot, commission d’octobre 1935).
Malheureusement pour l'activité ferroviaire, le Département donne alors la concession de la ligne et du réseau d'autocars à une même société, qui privilégie ses transports routiers et ferme la ligne ferroviaire en février 1939.
Avec l'entrée de la France en guerre, les pénuries de carburant réduisent le trafic routier et conduisent à la réouverture de plusieurs petites lignes ferroviaires dont celle de Douarnenez à Audierne à la mi-septembre 1941.
Son trafic est en partie soutenu par l'effort de guerre de l'occupant allemand, mais ... la ligne ferme définitivement le 30 novembre 1946.
La gare à la fin du XIXe siècle, avant l'extension des voies réalisée pour accueillir en 1914 le train Carotte de Pont l'Abbé (Carte postale de l'éditeur Villard). On voit comment le flanc du coteau a été creusé pour permettre l'aménagement du nouveau quartier de la gare et créer le remblai sur lequel a été établi la voie ferrée.
Une vue assez proche, mais probablement une quarantaine d'années plus tard. On voit à gauche le pont en béton inauguré en 1927, la végétation s'est développée sur la colline du Roz Kriben, les voies ont été élargies.
La gare à la fin de sa période d'exploitation vers la fin des années 1940. Le remblai pris sur le Goyen a été élargi dans les années 1910 pour permettre l'arrivée des trains de Pont l'Abbé.
(d'après une photo de R. Henrard vers 1950 pour l'éditeur de cartes postales Greff)
A la fin des années 1950, les voies ferrées ont disparu et, pour partie, laissé place au bâtiment de l'Inscription maritime, mais le bâtiment des voyageurs n'a pas encore été détruit. (d'après une photo prise vers 1960, diffusée par l'éditeur de cartes postales Combier)
Les traces actuelles du patrimoine ferroviaire d'Audierne.
En 1948, le Département du Finistère prend la décision de vendre des parcelles de son patrimoine ferroviaire et la commune d'Audierne va mettre en oeuvre l'acquisition de plusieurs parcelles. Les acquisitions sont effectives de 1952 à 1956 pour 4 parcelles représentant plus de 3500 m2, en vue de la création d'un bâtiment de bains-douches, d'une perception et d'un parking. L'achat de 1956 comprend l'acquisition de la gare de voyageurs, par contre la gare des marchandises et les bureaux sont déjà dans un tel état de dégradation qu'il sont cédés par le Département au prix du terrain.
Dans la même période l'Etat construit, entre l'extrémité des voies et le pont routier, l'Inscription maritime telle qu'on la voit sur l'une des illustrations ci-dessus. Elle sera ultérieurement, à son tour acquise, par la commune au début du XXIe siècle.
Enfin, en 1957, la commune acquière la portion de voie ferrée qui relie le Stum au pont physique de Suguensou, ou plus exactement les 996m "d'assiette des voies ferrées", les berges relevant du domaine maritime.
Aujourd'hui, les voies et l'élégante gare de voyageurs ont malheureusement été détruites et ne subsiste plus que le bâtiment de "la réserve des machines" situé sur une parcelle conservée jusqu'à aujourd'hui par le Département, entre la rue Lamartine et le parking du Stum. (Photo MVP 2020).
La fosse de réparation, figurée sur le plan ci-dessous a été comblée, le bâtiment intégrait latéralement un atelier et un dortoir, probablement construits à l'opposé de la rue, contrairement à ce plan de 1892 (©AD29 48 S 3).
En longeant le Goyen jusqu'à Pont-Croix par la voie verte, vous pouvez également retrouver le cheminement du Youtar et quitter Audierne selon son ancien trajet puis emprunter le pont qu'il franchissait à l'entrée de l'anse de Suguensou.
Vue du passage de l'anse de Suguensou où l'on aperçoit la route et où l'actuelle voie verte s'est substituée à la voie ferrée (Carte postale de l'éditeur Villard, vers 1900).
De la voie ferrée, peu entretenue à partir des années 1930, ne restent visibles, en dehors du tracée de la voie, que les murets de pierres sèches établis pour soutenir les berges : les "perrés".
Aperçu d'une portion de perré encore en place au premier plan mais très altéré. Les perrés ont été arrachés par le courant du Goyen sur d'importantes longueurs au fil des années, comme on peut l'apercevoir sur la photo prise en 2022.
Les berges ont nécessité des interventions, indispensables à leur tenue et à la préservation de l'assise de l'ancienne voie. Les quelques portions de perré restaurées, en 2023, entre Audierne et Pont-Croix, constituent les derniers témoins de la voie ferrée (Photo MVP 2022 et 2023).
Pour en savoir plus :
Chapuis Jacques. 1970. Lignes secondaires du S.-O. de la Bretagne. La Vie du rail n°1229.
Chapuis Jacques. 1983. Les voies ferrées départementales du Finistère. Chemins de fer régionaux et urbains, n° 175 et 176.
Duigou Serge. 1984. Quand bringuebalait le train youtar. éd. Ressac (Quimper).
Photos, aquarelle et cartes postales collection personnelle. Plans déposés aux archives du Finistère.
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