La célébration des 80 ans de la Libération d’Audierne, le 20 septembre 1944, et des combats qui la précédèrent ont été l’occasion d’évoquer, il y a quelques mois, le relatif oubli des déportés d’Audierne, voire parfois l’absence de mention de certains d’entre eux.
Cette année 2025 marque les 80 ans de la libération des camps de la mort et, dès ce mois de janvier, il convient d'évoquer la rafle du 2 janvier 1944 à l'Hôtel des Dunes, seulement rappelée par une plaque dépourvue des noms des victimes, à l’angle des rues Ampère et Dunant.
Sur la carte postale des éditions "Jean", l'Hôtel des Dunes apparaît tel qu'il était encore dans les années 1950, avant sa transformation en immeuble d'habitation. La carte colorisée des éditions "Lapie", de la même époque, permet de le localiser (flèche violette) à 100m de la plage au-dessus du phare de Trescadec.
Le 2 janvier 1944, une dizaine de jeunes hommes participant à un bal clandestin à l’hôtel des Dunes, au-dessus de la plage de Trescadec, sont, après dénonciation, appréhendés et pour deux d’entre eux grièvement blessé (François Kersaudy) ou tué (Henri Scudeller).
René Bigot, Jean Donnart, Simon Keravec et Robert Lozac’h d’Audierne, ainsi que Joseph Bontonnou, Pierre Bourhis et René Le Goff de Plouhinec, et Yves Le Donche de Lesconil en Plobannalec sont déportés après une incarcération à la prison Saint Charles à Quimper.
La prison Saint-Charles à Quimper.
En 1940, l'école Saint-Charles située dans le quartier de Kerfeuten devint brièvement un centre de mobilisation, puis un hôpital militaire. À son arrivée dans le Finistère la Wehrmacht la transforme en prison, entre autres pour ceux de ses militaires qui se mutinent et refusent la politique nazi.
En 1943, des travaux sont entrepris pour éviter les évasions : les parquets sont remplacés par des dalles de béton et les fenêtres sont closes.
Entre octobre 1943 et la libération de Quimper le 8 août 1944, c'est probablement 3000 résistants qui y seront emprisonnés, en transit vers les camps de la mort où exécutés, comme les résistants menés dans les dunes de Penmarc'h pour y être abattus le 21 avril 1944.
La Gestapo ayant détruit les archives avant son départ, le nombre exact des détenus y ayant transité demeure approximatif. Il est néanmoins avéré que l'ensemble des jeunes raflés à l'Hôtel des Dunes y seront incarcérés en janvier avant d'être envoyés vers Compiègne fin mars 1944. Photo de presse de 1940 (?) et photo des Archives départementales du Finistère, où l'on distingue les fenêtres murées.
De la prison Saint-Charles de Quimper, les 8 jeunes sont transférés fin mars au camp de Compiègne -Royallieu : le Fronstalag 122.
Le Fronstalag 122 de Compiègne-Royallieu.
La carte postale titrée "Royallieu 1944 Photo Hutin Compiègne" propose une vue du Fronstalag 122 depuis l’un des miradors. On y distingue, à droite de la place : l'alignement des 8 baraques du camp dit « américain » pour les militaires prisonniers , au fond : 2 des 4 baraques du camp dit « juif », à gauche : les 8 baraques du camp dit « communiste » des prisonniers politiques où séjournèrent les déportés "audiernais". Au premier plan la cabane de désinfection.
Les prisonniers du Fronstalag 122 parcouraient 3 km à pied à travers Compiègne, jusqu’à la gare de Margny-lès-Compiègne. La photo prise à la sortie du camp correspond au départ pour Dachau du 18 juin 1944. Les photos de la période d'Occupation ont été mises à disposition par l'Association du Mémorial du Wagon de la déportation de Margny-lès-Compiègne où sont conservés 2 des wagons à bestiaux des convois de déportation.
Un camp de transit vers la déportation.
De Compiègne-Royallieu, ils sont intégrés le 12 mai 1944 à un convoi de plus de 2000 déportés vers Buchenwald, puis sont affectés aux camps de travail de Dora (où sont testés les moteurs des V2) et de Flossenbürg (qui fournit une main d’œuvre d’esclaves à l’usine Messerschmidtt). Ils périront dans ces camps ou dans les mouroirs de Nordhausen et Bergen-Belsen où certains sont transférés après avoir été déclarés inaptes au travail.
Plus de 50.000 personnes furent internées au camp de Compiègne-Royallieu, le Fronstalag 122, puis envoyés vers divers camps de travail sélectionnés selon les besoins de l’industrie allemande, où la majorité d’entre eux périt d’épuisement, de sévices et maladies.
Ce fut le cas d'autres résistants audiernais arrêtés quelques mois avant, en 1943.
Dès 1943, d'autres déportations de résistants "audiernais".
Yves Normant, jeune résistant FTP d’Esquibien capturé sur dénonciation en octobre 1943, transita également par la prison Saint-Charles puis le Fronstalag 122 avant d’être déporté au camp de Neuengamme puis celui de Ludwigslust-Wöbblin qui fournissait une main d’œuvre d’esclaves à l’usine Volskwagen. Il y décédera quelques jours avant la libération du camp le 25 avril 1945. Une plaque commémorative, située au départ de l'avenue à son nom entre les plages du Pouldu et Sainte Évette, rappèle son engagement.
Les membres de deux groupes de jeunes résistants qui avaient tenté de rejoindre les FFL d’Afrique en juin 1943, depuis Audierne transitèrent également par le Fronstalag 122. Ils furent interceptés à la frontière espagnole, comme des milliers d’autres jeunes tentant de passer les Pyrénées dans la seule année 1943.
Emmanuel Brusq parviendra à s’échapper du train qui les emmenait, le 3 septembre 1943, vers Buchenwald. Il rejoignit le maquis du Squaer mais, capturé en février 1944 ; il est fusillé dans les dunes de Poulguen en Penmarc’h, le 21 avril 1944, ainsi que plusieurs résistants finistériens dont son ami Jean Simon, responsable FTP du sud-Finistère. L'avenue Manu Brusq en bordure de la plage de Trescadec et la place Jean Simon, à la jonction des quais Jean Jaurès et Pelletan rendent hommage à l'un et l'autre.
Jean Cudennec, le guide du premier groupe, fut affecté au creusement des tunnels de l’usine Mittelwerk au camp de Dora où étaient montés les V1. Il succombera de pneumonie dès janvier 1944, alors qu’il est transféré au mouroir de Lubin-Majdanec en Pologne.
Bien que né le 9 mai 1913 dans le quartier de l'église Saint Raymond et parti d'Audierne le 24 juin 1943, pour rejoindre les Forces Françaises Libres, en compagnie de Joseph Bolzer, Sylvestre Le Borgne et Joseph Le Gac, sa mémoire n'est actuellement évoquée que sur le monument aux morts de Plozévet où il s'était marié en 1936.
Sylvestre le Borgne décèdera à Buchenwald dès mars 1944.
Joseph Bolzer et Joseph Le Gac seront, avec Constant Le Floch parti quelques jours plus tard d'Audierne, les seuls rescapés des 16 déportés « audiernais » si l’on considère, au nombre de ceux-ci, le résistant Marcel Le Pape du réseau "Armée Volontaire" arrêté en janvier 1942 en région parisienne, puis déporté et guillotiné à la prison de Cologne le 25 août 1943.
Un travail d'histoire inachevé.
L'hommage aux déportés et l'histoire de la déportation fut un enjeu historique et social dès la Libération qui n'est pas achevé. Il s'est heurté à un difficile travail de documentation historique et, pour une part, à une hiérarchisation des mémoires entre faits d'arme, déportation et service du travail obligatoire. À Audierne, même si le refus du STO est nationalement intégré dans les actes de Résistance et que les raflés du 2 janvier 1944 ont été traités comme des déportés politiques dans les camps, le fait qu'ils aient été raflés lors d'un bal clandestin a nourri, pendant des années, des discussions locales sur l'importance, ou non, de rappeler leur mémoire et celle de leur martyre. Quant à la rafle elle n'est mentionnée dans aucun document municipal de l'époque, le décès d'Henri Scudeller étant seulement mentionné à l'État civil comme un décès "à la plage" de Trecasdec, par le maire pétainiste de l'époque.
Exemples de recto verso de 2 cartes de soutien aux déportés, émises par des association dès 1945-46.
Dès le mois de mai 1945 des déportés sont intégrés dans les cortèges militaires de la victoire. Dans le même esprit, lors de l'inauguration du mémorial du Mont-Valérien , le 11 novembre 1945, parmi les 15 cercueils symboliquement honorés l'un contient la dépouille d'une déportée et un autre celui d'un déporté. Parallèlement, les associations de déportés firent un nécessaire travail de mémoire et d'important travaux de documentation, avec l'appui d'historiens(1). Néanmoins, en France comme à l'étranger, l'histoire de la déportation est l'objet de confrontations de mémoires, entravées par la fréquente destruction des documents administratifs des camps par les SS, avant leur reddition, voire des archives des prisons comme à Quimper.
Pourtant, des archives peuvent encore être mises à jour, comme en témoigne celles de 4000 internés du camp de Royallieu, détenues par la Croix Rouge, qui n'ont pu être étudiées qu'en 2023, grâce à la persévérance du directeur du mémorial de Compiègne-Royallieu !
Les dossiers des déportés n'ont été que progressivement constitués, en particulier pour les milliers d'entre eux disparus, du fait des difficulté accrues à constituer leurs biographies. Ce laps de temps nécessaire a également contribué à émousser les mémoires. À Audierne une première vague de transcriptions des données apparaît ainsi sur l'État civil en 1946/1947, mais des ajouts se poursuivent jusque dans les années 2000. Ainsi, le dossier de Sylvestre Le Borgne est complété dans les années 1960 et le décès de Robert Lozac'h à Bergen-Belsen relève d'une information du ministère des Armées de ... 2004 !
2025 . Hommage aux déportés, à leur lutte et à leur martyre pour la liberté.
(1) Le remarquable "livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora", de 2414 pages, comporte des biographies de Joseph Bolzer, Jean Cudennec, Jean Donnart et Constant Floch.
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